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« Ramsay » Qui était donc le Chevalier de Ramsay ? Un mystique, c’est possible ; aventureux, c’est probable ; intelligent, c’est certain ! Sans doute ce que l’historien Albert Chérel nomme un « aventurier religieux » ! André Michel (Andrew Michaël) Ramsay était le fils aîné d’André Ramsay, boulanger à Ayr en Ecosse et bourgeois de cette petite ville. Il naquit le 9 juin 1686, pendant la courte période d’exil Irlandais de ses parents, impliqués dans les troubles politico-religieux qui sévissaient alors en Ecosse. De bonne heure, il s’intéresse aux études et en particulier aux mathématiques. Comme ses parents le destinaient à l’église - son père était calviniste et sa mère anglicane - il fit donc ses études de théologie à Glasgow puis à Edimbourg. Quand il entra dans sa vingtième année, un docteur anglican lui démontra la fausseté de toutes les religions, si bien que Ramsay adhère au Tolérantisme. En 1708, il fait partie d’un Cénacle dont l’âme était le pasteur français Pierre Poiret de tendance Piétiste. Les membres de ce groupe se détournaient des dogmes pour rechercher l’union mystique avec un Dieu d’Amour. Grâce à une première lettre datée du 25 février 1709 à un ami, on peut y lire que dès l’âge de vingt trois ans Ramsay a pu faire partie de la secte mystique des Philadelphiens, fondée en Angleterre en 1697 et qui fut dispersée. En 1710, retrouvant Poiret en Hollande, ce dernier l’adresse à Fénelon, archevêque de Cambrai, dont la rencontre déterminera finalement toute la carrière de Ramsay. On imagine que ce grand homme n’eut guère de peine à persuader le jeune écossais que pour accéder au Pur Amour, il convenait d’abord de faire sa soumission à Rome… (cf. mise à l’écart de Fénelon : «Cum Alias» de 1699 ! cf. Bossuet). En 1714, Ramsay quitte Cambrai pour Blois où il vécut deux années auprès de Me Guyon de Chesnoy (Jeanne Marie Bouvier de la Motte, dite « Madame »), amie de Fénelon et protagoniste du Quiétisme (mystique condamnée en 1699 par Innocent XII). Elle achevait alors son existence, au milieu d’un cercle de disciples de différentes confessions. Ramsay semble avoir rempli auprès d’elle les fonctions de secrétaire (entre autre). Il assistera à la mort de « sa très chère Mère » en juin 1717. En 1716, il quitte Blois pour Paris afin d’être le précepteur du fils du comte de Sassenage, gendre du duc de Chevreuse (ami de Fénelon). Il reste 7 ans chez celui-ci et met à profit ce séjour pour écrire une partie importante de son œuvre : Discours sur la poésie épique, des préfaces pour divers ouvrages de Fénelon (Télémaque), le Traité de l’existence de Dieu, des lettres sur divers sujets de religion, les Dialogues des morts, les Dialogues sur l’éloquence en 1718, Essai philosophique en 1719 et surtout en 1723 Histoire de la vie de Fénelon (mort en 1715), ce qui lui valut du Régent (Philippe d’Orléans ou bien le duc de Bourbon ?) le titre de Chevalier de l’Ordre de Saint-Lazare de Jérusalem, et une pension de 2000 Livres ! Il commença de la sorte sa double carrière d’écrivain et de précepteur chez les Grands. On reconnaît unanimement qu’il fut l’instaurateur d’un culte Fénelonien qui allait s’épanouir jusqu’au cœur du XIX° siècle. Puis, en 1724, Ramsay quitte quelques temps Paris pour Rome afin d’occuper la fonction de précepteur du Prince de Galles (Charles-Edouard, fils de Jacques III). Mais il ne reste à Rome que dix mois et rentre à Paris. Le duc de Sully (gendre de Me Guyon) lui offre alors l’hospitalité dans son magnifique hôtel de la rue Saint Antoine. Il y reste de 1723 à 1728 et c’est là qu’il écrit son meilleur ouvrage (un « best seller » !) : les Voyages de Cyrus. Ce livre, qualifié par Voltaire de « pâle imitation de Télémaque », allait connaître un prodigieux succès en librairie ! Ramsay avait fondé de grands espoirs sur l’arrivée au pouvoir en 1726 du cardinal Fleury (ami de Fénelon) qui, semble-t-il, le protégeait de longue date. C’est après la mort de Sully, que se place, de 1728 à 1730, son voyage en Angleterre qu’il avait quittée fin 1709. Il profite de son séjour pour lancer dans le public anglais une édition en souscription des Voyages de Cyrus. En décembre 1729, il est élu membre de l’Académie Royale des sciences et en 1730 il devient docteur Honoris causa d’Oxford - a-t-il fréquenté Newton et sa « philosophie naturelle » ? Ramsay était parti en Angleterre pour chercher fortune, ainsi qu’il l’écrit dans une lettre de mars 1729 au marquis de Caumont mais il l’informe également de sa déception en mai 1730. Il regrette la France et exprime sa plainte : « Je la regarde comme ma patrie, je soupire après le moment de mon retour… ». C’est au cours de son séjour en Angleterre que Ramsay fut reçu Franc-maçon à la brillante Loge « Horn », en mars 1730. Il a quarante quatre ans… Dans un journal anglais du 17 mars 1730, on peut lire : « Lundi dernier, à la Loge du Col, nombre de personnes de distinction étaient présentes : le marquis X, le baron Y, et le chevalier de Ramsay, ont été reçus membres de l’ancienne Société des Francs-maçons Acceptés ». Etait-elle une première initiation ou bien une seconde ? La question se pose dans la mesure où les Voyages de Cyrus, parus en 1727, contiennent des allusions aux mystères de l’Ordre et déjà en 1724 Ramsay allait à Rome pour « révéler » au Prétendant Stuart la vraie religion et la Maçonnerie ; son initiation antérieure à 1730 paraît donc probable. Maçon de style jacobite (partisan de Jacques II), on peut penser qu’il voulu connaître la Maçonnerie nouvelle créée par Anderson et Désaguliers. Cette seconde initiation n’a rien d’impossible, Maçon de deux rites ou si l’on préfère de deux obédiences, Ramsay allait ainsi chercher à réaliser le rêve qui fut le sien et qui a été le moteur de son action : la fraternité et la religion universelle, sans doute inspirées de la Freemasonery spéculative anglaise qui mettait en pratique une vertu alors méconnue en Europe : la Tolérance… On notera qu’à l’époque, il existait une Maçonnerie Ecossaise (les Antients) préexistant à la Maçonnerie dite des Moderns (réforme Andersonienne de 1717). En 1717, il existait au moins une vingtaine de Loges en Ecosse (Kilwining est antérieure à 1599) et qui se sont fédérées en Grande Loge d’Ecosse en 1736. La création de la Grande Loge de Londres de 1717 n’est que la conséquence de l’avènement des spéculatifs dans les Loges opératives, en Angleterre. La Maçonnerie Ecossaise était pratiquée en France selon les modèles apportés par les jacobites, indépendamment de l’apparition secondaire des Moderns et malgré l’ostracisme du Grand Orient de France. La première Loge française attestée date de 1725, bien que l’on retrouve trace de Loges jacobites à Saint-Germain-en Laye au XVII° siècle. Ramsay, selon toute vraisemblance, aurait donc bien été initié en France selon le Rit des Antients, avant son séjour en Angleterre... En tout état de cause, nous savons que de retour à Paris, en juillet 1730, Ramsay faisait partie d’une Loge qui se tenait au 10 de la rue des Boucheries à Saint-Germain-des-Prés, Loge dans laquelle il occupait le plateau d’Orateur, office qu’il aurait dit-on créé … De retour en France, Ramsay reprend du service chez les Grands ; il passe du jeune duc de Château-Thierry au prince de Turenne, ce qui explique la parution de l’Histoire de Mr de Turenne, en 1735, alors qu’il était hébergé chez ce dernier au Château Saint-Martin, près de Pontoise. C’est cette même année, en juin, qu’il épouse Melle de Nairne, de quinze ans sa cadette, fille d’un baron anglais et très érudite. A cette occasion, au cours de l’été 1735, paraît contre lui une diatribe en vers, « la Ramsaïde », dont je vous livre quelques extraits : « A toutes mains, à toute brigue Vrai caméléon en intrigue Ce ténébreux illuminé Dans Edimbourg Quaker effréné A Cambrai se montre déiste Pour vendre au parfait quiétiste L’honneur de sa conversion A la charge de Pension »… Cette diatribe qu’on attribue à tord à Voltaire montre bien la popularité de Ramsay comme la férocité de ses ennemis. « Proxénète consolateur ! », avait on dit jadis de lui en faisant allusion à son amitié avec Madame Guyon… Jusqu’à présent, en dehors de son initiation de 1730 à la Loge Horn, Ramsay paraît n’avoir eu aucune activité maçonnique notable. Mais, d’un seul coup, tout va changer et de décembre 1736 à mars 1737, Ramsay va jouer un rôle capital dans l’histoire de l’Ordre, à tel point que l’on n’a pas fini de discuter encore aujourd’hui sur ce qu’il a fait ou voulu faire ! Il est tout d’abord l’auteur d’un (deux) célèbre(s) discours sur les buts et l’utilité de l’Ordre et il est devenu classique de dire : « le Discours de Ramsay ». Le contexte « politique » du Discours La première version du texte se trouve dans le manuscrit n° 124 de la bibliothèque d’Epernay et on apprend par une note qu’il fut prononcé le 26 décembre 1736, sans doute à l’Assemblée de la Saint Jean des Loges parisiennes. C’est de nouveau pour une Assemblée Générale, le 24 mars 1737, que Ramsay aurait dû prononcer le Discours dans une nouvelle version dont le texte imprimé paraîtra dans le recueil intitulé Lettre à Mr de Voltaire, en 1738 et dont plusieurs versions manuscrites ou imprimées, avec des variantes (8 environ), circulèrent de Loges en Loges. En tout état de cause, il est sûr que dès 1736 Ramsay était déjà l’Orateur de la Loge du Louis d’Argent à l’Orient de Paris et c’est la fonction de Grand Orateur que lui attribuera le premier éditeur de son discours, alors qu’il était officiellement Grand Chancelier de l’Ordre. C’est la nouvelle version du Discours que, par lettre du 20 mars 1737, Ramsay adresse au cardinal de Fleury en lui demandant d’en corriger la matière comme la diction, et il poursuit : « …Daignez, Monseigneur, soutenir la société des Francs-maçons dans les grandes vues qu’ils se proposent et Votre Excellence rendra son nom bien plus glorieux par cette protection que Richelieu ne fit le sien par la fondation de l’Académie française… » (Rien moins que cela !). Ramsay demande ensuite au cardinal de lui renvoyer son texte par un exprès, puisqu’il doit le lire très prochainement dans une assemblée et le soumettre ensuite aux examinateurs de la Chancellerie. Le 22 mars, Ramsay fait connaître la réponse du ministre. Celui-ci a signifié au Grand Orateur que les assemblées des frères déplaisent au roi, c'est-à-dire avant tout à lui-même ; Ramsay se justifie brièvement : il n’a en effet fréquenté les assemblées des frères que «… dans la vue d’y répandre des maximes qui auraient rendu peu à peu l’incrédulité ridicule, le vice odieux et l’ignorance honteuse… » … Il poursuit : « … si on glissait à la tête de ces assemblées des gens sages et choisis par Votre Eminence, elles pourraient devenir très utiles à la Religion, à l’Etat et aux Lettres ». Ramsay est en effet pensionné du roi de France et c’est pourquoi il prie l’Eminence de lui mander s’il doit retourner à ces assemblées et termine sa correspondance en écrivant : « Je me conformerai aux volontés de Votre Eminence avec une docilité sans bornes ». En haut de cette lettre le cardinal a marqué une note au crayon, presque effacée, où l’on croit discerner la défense de s’assembler et le fait que le Roi s’est moqué des réunions. Le grand projet de Ramsay, faire de l’Ordre une institution patronnée par le pouvoir royal, à son service et à celui de l’Eglise contre l’incrédulité menaçante, échouait devant l’incompréhension et l’étroite orthodoxie du vieux précepteur de Louis XV ! C’est la première fois que l’Ordre offre de se mettre au service du pouvoir. C’est d’une telle nouveauté - qu’une association légalement reconnue soit animée d’un tel esprit - que les responsables de la monarchie repoussent une offre si inhabituelle et si suspecte… Cette prise de position du Premier ministre était d’autant plus importante que Ramsay avait conçu le projet d’initier le roi Louis XV. L’activité maçonnique de Ramsay est arrêtée par l’interdiction de Fleury, d’une manière qui fut définitive. Ce discours eut une influence durable sur la Maçonnerie française du XVIII° siècle, tant sur le plan spirituel qu’intellectuel, ainsi qu’à l’origine de l’enrichissement de l’Ordre de nombreux grades chevaleresques, essentiellement de 1743 à 1771 sous la Grande Maîtrise du comte de Clermont. Ce sont les raisons pour lesquelles il figure dans les « textes fondamentaux » du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Ce qu’il importe de connaître c’est la substance et l’esprit du célèbre Discours dans sa version primitive, celle d’Epernay en 1736, et dans sa version classique, celle qui fut imprimée avec certaines variantes, à partir de 1738 à La Haye ; ce texte sera finalement retenu comme le plus fidèle. Les thèmes sont les mêmes et Ramsay prend ainsi la suite de la tradition anglaise du « Discours » dont la plus ancienne trace remonte à Juin 1721 par Théophile Désaguliers, qu’il a sans aucun doute rencontré à la Royal Society (Ramsay y fut reçu « fellow » le 11 décembre 1729). Mais ceci fera date car le Discours de Ramsay est le premier rédigé en vue de souhaiter la bienvenue à de nouveaux initiés. Il s’attache donc à présenter une vue générale de l’Ordre maçonnique, de son origine, des buts qu’il se propose, ainsi qu’une certaine idée précise de ce qu’il attend de ses membres. Il s’agit de vision et non d’histoire, prolongeant dans l’imaginaire des néophytes les effets de l’initiation. Il comporte deux parties bien distinctes ; la première traite « des qualités requises pour devenir Franc-maçon et des buts que se propose l’Ordre », tandis que la seconde conte « l’origine et l’histoire de l’Ordre ». En résumé, pour entrer dans l’Ordre, il faut avoir trois qualités : la philanthropie, la discrétion inviolable et le goût des beaux arts. Suit un long passage (1736) sur la Maçonnerie d’après l’Ancien Testament : «… Noé doit être regardé comme l’auteur et l’inventeur de l’architecture navale aussi bien que le Grand Maître de l’Ordre… »…Puis la succession des grandes figures telles que Abraham, Joseph, Moïse, et Salomon ainsi que les maîtres d’œuvre du Temple : Hiram, Cyrus et Zorobabel. Dans la version de 1737, ce passage disparaît ; de même, y a-t-il rajouté à la philanthropie, l’Amour de l’Humanité et une quatrième qualité, la saine Morale. Dans les deux textes, Ramsay explique et justifie les mystères, l’usage des signes et des symboles et les rattache aux mystères égyptiens et grecs. De même l’historique légendaire de l’Ordre a pour point de départ les croisades, l’introduction de l’Ordre en Occident et en Grande Bretagne, laquelle a été le conservatoire de la Maçonnerie avant que celle-ci ne se répande à nouveau sur le continent et surtout en France, pays que Ramsay voudrait voir devenir le centre de la Maçonnerie Universelle dont Paris serait la capitale… Le premier Discours de 1736, plus traditionaliste, plus religieux, fait ressortir avec force une idée maîtresse de Ramsay : la Maçonnerie n’est que la résurrection de la religion noachique, celle du patriarche Noé, religion universelle et antérieure à tout dogme ; elle permettait de dépasser les oppositions de confessions et les différences. Sa présence s’impose après les vaines luttes théologiques dans lesquelles les Eglises chrétiennes se sont enfermées depuis la Réforme. Le texte de 1737 invitait les Maçon, avec le projet du Dictionnaire, à une tâche intellectuelle et civilisatrice qui dépassait leurs intentions et leurs forces. Ce discours donne ainsi une idée juste des buts de la maçonnerie tels qu’on les concevait en France à l’époque : « former des hommes, les unir par la théologie du cœur en une seule nation spirituelle, travailler au progrès des sciences utiles et des arts libéraux ». On y trouve l’influence de Fénelon, on y trouve le projet de l’Encyclopédie (1751-1772 en France, 1768-1771 en Ecosse)… Dans une lettre datée du 16 avril 1737 et adressée au marquis de Caumont, Ramsay écrit : « nous avons dans notre société trois sortes de confrères : les Novices ou les Apprentis, les Compagnons ou les Profès et les Maîtres ou les Adeptes …On apprend aux premiers les vertus morales et philanthropes, aux seconds les vertus héroïques et intellectuelles, aux derniers les vertus surhumaines et divines… Autrefois, on était trois mois postulant, trois mois novice et trois mois compagnon avant que d’être admis à nos grands mystères et, par là, devenir homme nouveau pour ne plus vivre que de la vie du pur esprit. Depuis la dégradation de notre Ordre, on a trop précipité les réceptions et les initiations, au grand regret de tous ceux qui connaissent la grandeur de notre vocation ». Ramsay, dans ce texte ne parle que des trois grades de la Maçonnerie symbolique, dite bleue, mais il retrace pour son ami d’Avignon la légende et l’histoire de l’Ordre : « … Jean, Lord Stuart ou Grand Maître de la Maison du Roi d’Ecosse, amena notre science de la Terre Sainte en 1286 et établit une Loge à Kilwin en Ecosse… Depuis ce temps l’antique royaume et l’intime allié de la France a été le dépositaire de nos secrets, le centre de l’Ordre et le conservateur de nos lois ». Que de plus la Maçonnerie soit déjà impliquée dans la politique ressort de l’utilisation qu’en voulaient faire les Maçons jacobites et contre laquelle les Maçons tenants du régime des rois Georges protestent ! Ramsay rapporte en effet que les ambassadeurs de Hollande et d’Angleterre ont crié partout que les jacobites Maçons voulaient se lancer dans une « neuvième croisade pour rétablir le vrai monarque de la Grande-Bretagne ». Il rajoute : «… on a suspendu pour quelques temps nos assemblées dont Louis XV voulait se déclarer chef ». A cette lettre fait écho une autre du 2 août 1737, adressée par Ramsay au docteur Carde qui, après avoir vécu longtemps en France sous le nom de Philips, avait regagné l’Angleterre et recevait des lettres d’émigrés britanniques. Dans cette correspondance, Ramsay écrit : «…vous avez sans doute entendu parler du bruit qu’on fait de nos Francs-maçons français. J’étais l’orateur et j’avais de grandes vues si le cardinal ne m’avait écrit pour me l’interdire. J’avais envoyé le Discours que j’avais fait pour la réception, à différentes époques, de huit ducs et pairs et de deux cents officiers du premier rang et de la plus haute noblesse, à sa Grâce le duc d’Ormond… Vous y verrez mes vues générales en matière d’instruction, mais je vous dirai mes vues personnelles pour le bien de notre pays quand je vous rencontrerai. Si le Cardinal avait attendu un mois plus tard, j’aurais eu le mérite de haranguer le Roi de France, en qualité de chef de la Fraternité, et d’avoir initié Sa Majesté à nos mystères sacrés ». Dans cette perspective qui ne se réalisa pas en 1737, et qui fut peut-être pour la monarchie française une occasion manquée de contrôler l’esprit de l’aristocratie, on comprend mieux la deuxième version du Discours. En effet, la première version de 1736 avait été lue devant des membres de la première Loge parisienne, créée par une très forte majorité d’anglo-saxons. Son inspiration est à la fois baconienne et spéculative et cette version fut, si l’on peut dire, à usage interne et de portée purement initiatique et symbolique. Or l’auditoire devant lequel Ramsay devait prononcer la deuxième version n’était plus du tout le même. Ce n’était plus l’auditoire d’outre-manche imprégné de la philosophie de Francis Bacon et des Constitutions d’Anderson de 1723 ; c’était une « Assemblée Générale de l’Ordre » en France, autrement dit un auditoire composé d’une écrasante majorité de frères peu au fait de la Tradition des Anciens Devoirs.. Il s’adresse donc à un public qu’il faut conquérir et, pédagogue, Ramsay a pensé qu’il fallait proposer un programme plus intellectuel à l’aristocratie qu’il s’agissait de ramener dans les filets qu’il venait de lancer. Si cette espérance, comme nous l’avons vu, ne fut point réalisée, le Discours connut une réelle fortune et dut souvent tirer d’embarras les orateurs des Loges. C’est en quelque sorte l’Evangile de la Maçonnerie, son Nouveau Testament (par delà les Antients et au-delà des Moderns), dont les Constitutions d’Anderson et de Désaguliers seraient la Bible… La nouvelle société avait fait la percée dans le monde de son temps et dans l’opinion. Elle avait attiré sur elle l’attention et surtout la méfiance du pouvoir établi ; par bonheur pour elle, celui-ci était alors entre les mains d’un vieillard prudent, utilisant des méthodes obliques et cauteleuses… Comment se défaire de cette nouveauté suspecte, capable de devenir dangereuse ? C’est à quoi doit réfléchir le vieux cardinal de Fleury et il donne mission à son fidèle et dévoué lieutenant de police René Hérault, d’une orthodoxie catholique irréprochable, de trouver les moyens d’évacuer cette Société qui, de discrète, était devenue publique et avait affirmé sa force et son attrait sur les esprits. Ramsay ne se sentait pas tout à fait à l’aise dans l’atmosphère du catholicisme français et il avoue avoir fait des concessions à la doctrine orthodoxe. On s’explique mieux dès lors les hardiesses de son ouvrage posthume, les principes philosophiques, et l’opinion répandue chez les catholiques affirmant que le texte n’était pas de lui. Sa foi et sa piété étaient pourtant bien réelles et sont attestées par une annotation au bas d’une lettre de sa veuve, en juillet 1744 : « Il mourut en odeur de sainteté dans les bras du Seigneur… ». Asthmatique depuis 1741, le Chevalier André Michel de Ramsay décéda à Saint-Germain-en-Laye le dimanche 6 mai 1743 (la même année que Fleury !). Son acte de décès fut signé par lord Eglentown, pair d’Ecosse et par lord Derwentwater, pair d’Angleterre, tous deux Francs-maçons. Il fut inhumé le lendemain dans l’église paroissiale où se trouve le tombeau de Jacques II… Le Testament Philosophique de Ramsay Si Ramsay avait fait une irruption remarquée sur la scène maçonnique en 1736-1737, son éclipse avait aussitôt suivi les froncements de sourcils du vieux cardinal Hercule de Fleury, l’Eminence suprême, comme l’appelait l’écossais ! De 1737 à 1743, il n’est plus trace de l’activité maçonnique de Ramsay, mais tout un ensemble de lettres écrites par lui en 1742 instruit parfaitement de sa pensée religieuse et philosophique, et il est facile de voir se dessiner en filigrane la conception que Ramsay se faisait de la Maçonnerie et du rôle qu’il lui assignait, non pas celui de religion « avortée », mais bien de supra religion ou, pour employer sa propre expression, de « religion universelle ». Il semble que malgré les critiques qui l’accusent d’un opportunisme outrancier, on ne peut nier les qualités de cœur et d’esprit à cet homme. Son œuvre est l’affirmation officielle d’un idéal de tolérance et un acte de joie et d’espérance dans la dignité de l’homme. La Franc-maçonnerie était à son époque un groupement d’aristocrates qui travaillaient selon les méthodes démocratiques, Ramsay en a fait un groupe de démocrates essayant d’atteindre l’aristocratie de l’esprit et du cœur. La Philanthropie : Là où Anderson se bornait à écrire dans les Devoirs : « Nous sommes de toutes les nations, idiomes, races et langages... », Ramsay applique les vues de son maître Fénelon : « Tout le genre humain (avait écrit ce dernier dans le Télémaque), n’est qu’une famille dispersée sur la surface de la terre; tous les hommes sont frères et doivent s’aimer comme tels... Le Discours reprend : Le monde entier n’est qu’une grande république dont chaque nation est une famille et chaque particulier un enfant… Le but unique de l’Ordre est de s’assigner la réunion des esprits et des coeurs pour les rendre meilleurs et former dans la suite des temps une nation spirituelle où, sans déroger aux divers devoirs que la différence des états exige, on créera un peuple nouveau qui, en tenant de plusieurs nations, les cimentera toutes en quelque sorte par les liens de la vertu et de la science ». Il semblerait que ce fût la première fois qu’était exprimé avec autant de clarté l’idéal suprême de la Maçonnerie. La Morale pure : L’Ordre maçonnique ne se propose point, comme les ordres religieux de rendre les hommes « Chrétiens Parfaits », ni, comme les ordres militaires, de leur inspirer « l’amour de la belle gloire ». Il s’agit de « former des hommes et des hommes aimables, de bons citoyens et de bons sujets, inviolables dans leurs promesses, fidèles adorateurs du Dieu de l’Amitié. Nous bannissons de nos loges toute dispute ». Ramsay n’en célèbre pas moins « l’attrait des plaisirs innocents » et, celui des « soupes d’Horace » d’où sont bannis « l’irréligion et le libertinage, l’incrédulité et la débauche ». Le Secret inviolable : Pour lui comme pour Anderson, les Secrets des Maçons ne sont point d’ordre métaphysique : « Ce sont des signes figuratifs et des paroles sacrées qui composent un langage pour reconnaître nos confrères de quelque langue et de quelque pays qu’ils soient... Ce secret inviolable contribue puissamment à lier les sujets de toutes les nations et à rendre la communication des bienfaits faciles et mutuelle entre eux... ». Ramsay remarque que « les mystères antiques avaient quelque rapport à nos solennités », on y trouvait, écrit-il, « plusieurs vestiges de l’ancienne religion de Noé et des Patriarches ». En cela, il reflète la croyance générale de l’époque en une religion naturelle et universelle, antérieure à toute révélation. C’est dans ce passage de son discours traitant des secrets qu’il prend une position très nette sur l’exclusion des femmes de l’Ordre Maçonnique : « Ce n’est pas que nous soyons assez injustes pour regarder le sexe comme incapable de secret, mais c’est parce que sa présence pourrait altérer insensiblement la pureté de nos maximes et de nos moeurs ... Si le sexe est banni, qu’il n’en ait point d’alarmes, ce n’est point un ombrage à sa fidélité, mais on craint que l’amour entrant avec ses charmes, ne produise l’oubli de la fraternité ». Des Sciences et des Arts Libéraux : C’est la quatrième qualité pour entrer dans l’Ordre : « Ainsi l’Ordre exige de chacun de vous de contribuer par son travail à un vaste ouvrage auquel nulle académie et nulle université ne peuvent suffire. De cette façon, on réunira les lumières de toutes les nations dans un seul ouvrage qui augmentera dans chaque siècle selon l’augmentation des lumières. Mais seront exclues de cet ouvrage, la Théologie et la Politique ... ». Ainsi se termine, de ce discours, la première partie qui constitue une véritable prophétie tant sur le plan maçonnique que sur ce que sera le « Siècle des Lumières ». La deuxième partie traite de l’origine et de l’histoire de l’ordre et donnera plus tard naissance à de nombreux grades… Ramsay attribue l’institution de l’Ordre aux Croisés : « Du temps des guerres saintes dans la Palestine, plusieurs princes, seigneurs et citoyens entrèrent en Société, firent voeu de rétablir les temples des Chrétiens dans la Terre Sainte et s’engagèrent par serment à employer leurs talents et leurs biens pour ramener l’Architecture à sa primitive institution. Ils convinrent de plusieurs signes anciens, de mots symboliques tirés du fond de la religion, pour se distinguer des infidèles. On ne communiquait ces signes et ces paroles qu’à ceux qui promettaient solennellement et souvent même aux pieds des autels, de ne jamais les révéler. Quelque temps après, notre Ordre s’unit intimement avec les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Dès lors et depuis, nos Loges portèrent le nom des loges de Saint-Jean, dans tous les pays... ». Ensuite, il explique le passage de l’Ordre, de la Terre Sainte en Europe par les Croisés qui revinrent de la Palestine et établirent des loges dans leurs pays respectifs. Mais ces loges furent négligées peu à peu dans tous les pays, sauf, bien sûr, en Ecosse où « nos Rois confièrent pendant plusieurs siècles la garde de leur sacrée personne.... Puis, des Iles Britanniques, l’antique science commence à passer dans la France sous le règne du plus aimable des Rois. La nation, la plus spirituelle de l’Europe, deviendra le centre de l’Ordre; elle répandra sur nos ouvrages et sur nos statuts, les grâces, la délicatesse et le bon goût, qualités essentielles dans un Ordre dont la base est la Sagesse, la Force et la Beauté... ». Ainsi, Ramsay appelle directement à une transformation vers le spéculatif tout en intégrant à la Franc-maçonnerie les héritages des ordres chevaleresques. Il se trouve donc être un des pères de l’universalisme maçonnique, orienté certes dans un sens mystique, nettement détaché de la stricte orthodoxie, mais dont tout homme de foi conviendra quant à l’esprit de « religion universelle ». Une religion qui les embrasse toutes et qui les transcendent, c’est la raison théologique essentielle de la condamnation papale du 28 Avril 1738 ! (excommunication de Clément XII : Bulle « In Eminenti Apostolatus Specula », renforcée le 18 Mai 1751 par Benoît XIV : Bulle « Pro vidas »). Cette conception de Ramsay, il est remarquable de la retrouver à environ un siècle de distance sous la plume du prince Lucien Murat, Grand Maître du Grand Orient de l’époque, en 1856, et qui adresse aux frères de la Loge Saint Jean de Thémis à Caen une longue lettre dont la fin se réfère tout à fait à Ramsay (encore une appropriation du Grand Orient !) : « …de même qu’il y a un droit naturel, qui est la source de toutes les lois positives, de même il y a une religion qui renferme toutes les religions particulières du globe. C’est une religion universelle que nous professons… et nous accueillons tous ceux qui professent une religion particulière qui s’y rattache ; c’est à cette religion universelle que le gouvernement professe quand il proclame la liberté des cultes… Nous dire sans religion parce que nous en professons une qui les embrasse toutes, c’est comme dire que tel homme nie la loi parce qu’il reconnaît un droit naturel, suprême, immuable, d’où émanent les législations de tous les temps et de tous les lieux… » . La Franc-maçonnerie fut, dans cet esprit, destinée à réaliser cette religion universelle dont Ramsay se voulu à la fois le zélateur et la victime, tel qu’il fut inscrit sur sa tombe : « Défenseur et martyr de la religion universelle ». La place occupée par Ramsay dans l’histoire et le développement de l’Ordre maçonnique est donc de premier plan même si de durée brève, en contribuant à fixer les thèmes essentiels de la Chevalerie de l’Esprit. Au-delà de toutes les orthodoxies et de tous les clergés, il s’est voulu oecuménique et c’est en cela qu’il fut novateur. Les rôles de protecteur, de gardien, de constructeur, de libérateur, de penseur, de transmetteur et de fédérateur joués par Ramsay en ont fait une figure clé de la maçonnerie spéculative, distincte de celle des métiers. L’importance accordée aux pouvoirs initiatiques des légendes et des mythes ouvrira désormais la voie à l’intériorisation de la quête de la Parole perdue. Le cheminement spirituel est celui de la métamorphose, c'est-à-dire un lent processus alchimique de transformation du vieil homme en homme nouveau : l’Initié. « Alors devons nous à la fois construire des Temples extérieurs qui correspondent à la recherche de la Vérité sous toutes ses formes, comme à éclairer, édifier et protéger les Temples vivants, c'est-à-dire construire notre propre Temple intérieur… A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers »…. Bruno Phelebon-Griolet, Novembre 2005 Bibliographie : Eliane Brault : Le mystère du chevalier de Ramsay (éd. du prisme 1973) Textes fondamentaux du SCDF (R.G. éd.1999) Encyclopédie Universalis : Le Quiétisme, Fénelon… Jean-Pierre Bayard : Les origines de l’Ordre maçonnique (in PVI N°132, 2004) Albert Beissier : Le Discours de Ramsay (1992) Bernard Caussin : Le Chevalier de Ramsay (1982) Victor Gold : La pensée de Ramsay (in PVI N° 79, 1990) Michel Mirabail : Le Discours de Ramsay (in Ordo ab Chao N° 48 suppl., 2003) |
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